Je barre
Je barre
Au milieu de nulle part,
Sans azimut, sans cap,
Sous le grain qui noie mes larmes
Au centre de l’amnios originel
Autour de moi le cercle horizonnant
Voguant à couple, encerclant ma dérive
Cette étendue maritime sera mon arène,
Mon éternité, ma mante aqueuse
Je barre
Seule au cœur de l’océan d’écume
Qui me gifle, me ballotte, et m’attire
Colère des divinités marines
Contre mes semblables qui les souillent
Il me précède, me poursuit, et m’enlace,
Il m’entraine vers le grand large ultime
Où se joue le combat des géants des abysses
Charybde et Scylla, je vous connais déjà
Je barre
Avec la rage impuissante de David
Tel un Jonas sans dieu ni pardon
Armée de Goliaths je vous hais et je barre
Léviathans fossoyeurs des fonds et des rivages
Je fuis vos côtes avachies de corps épuisés
Couronnement de faux couples échoués
Déferlantes migrations de corps morts avachis
Lambeaux de vie s’accouplant sur la scène estivale
Je barre,
En fuite d’humanité déshonorée
De ses immondices, ses montagnes matérielles
Rouillant éviscérées en décharges côtières
Je lève l’ancre en bras d’honneur
Je mets le grappin sur le grand large
Voyage au long cours sans retour
Une bordée d’injures au zénith sali
Je m’effondre en ruine sous le hauban
Je barre
Vos prés sont les charniers de votre boulimie barbare
Mon seul maroquin sera le pont de mon rafiot
Mon beaupré pour seul apôtre
Mon amure écartant l’amer qui vous ronge
J’en appelle aux points cardinaux pour une mer d’oubli
Les hurlants en écho entre mes tempes battantes
Ma ligne de mer en crêtes de désespérance
Ah ! Je vous prie d’agréer... toutes mes gémonies
Je barre surtout
Loin de ton pavillon de complaisance
De tes arrogances pitoyables pintées chaque soir
De notre embarcation naufragée de tant d’orages
De tes outrances et tes bourrasques, de tes outrages
De ton arsenal de faux semblants érigé en art
J’en abats le pavois, je le piétine,
Affalée de rêves en faillite, vidée de toute foi,
Amirale d’une carcasse à la dérive
Je barre surtout
Harponnée de désespérance abyssale
Les tripes rongées jusqu’à trinquette
Abreuvée du dégoût de toi jusqu’à ta lie
Saoulée de ta veulerie portée en étendard
Je te laisse Narcisse, j'épouse Poséidon
Ma ligne de vie repasse en déferlante
Le brisant des flots est mon couronnement ultime
L’horizon des fonds sera mon gite sépulcral.
©Scarlett3
Rebonds : Si nous tuons la terre, Prévert, Sable